Casque téléphonique

Par Tun Kai Poh, traduction par Frédéric Vallat

C'était le cinquième jour d'expédition, et nous étions profondément enfoncés dans la forêt ombrophile du Drakensberg. Il y avait des singes-branchages dans les arbres. Nous pouvions les voir sauter de branche en branche, restant à distance. Les petites créatures grinçaient et agitaient leurs bras de temps en temps, comme si elles espéraient nous effrayer par leur grande démonstration de force et de férocité.

"Saloperies de pédés insolents," maugréa Scarborough. "Ils grincent comme des craies sur un tableau."

Je lui expliquai qu'ils produisaient simplement les sons qui leur étaient naturels, mais elle ne m'écouta pas. Elle était de mauvaise humeur.

Malmoneeds était comme d'habitude en tête, taillant un passage à travers les buissons avec sa machette à lame diamantée. Il l'entendit se plaindre, et s'arrêta. "Qu'est ce qu'il y a ? Vous croyez que vous êtes la plus à plaindre, avec les gros protège-oreilles que vous portez en permanence ?"

"C'est pas des putains de protège-oreilles, c'est un téléphone satellite très perfectionné. Si quelqu'un m'appelle, je veux pouvoir entendre ce qu'il dit."

Nous dûmes arrêter la colonne lorsque Malmoneeds tomba sur un bosquet de carniflore particulièrement épais. Il ficha sa machette en terre et s'accroupit, les mains sur les genoux, essayant sans doute de trouver comment le contourner.

La journée était chaude et humide, et les choses qui ici font office de mouches bourdonnaient autour de nos têtes. Les singes-branchages continuaient à grincer. Scarborough commença à arborer un air revêche, mais son expression se figea.

Elle ouvrit son sac et y prit quelque chose.

Je lui demandai avec beaucoup d'inquiétude ce qu'elle allait faire avec ce pistolet.

"Je sais ce que je fais. C'est moi qui l'ai construit." Elle quitta la piste et s'enfonça sur la gauche, se baissant entre deux buissons épineux de jonc du Drakensberg. "Regardez ça." Nous la vîmes écarter une branche basse, se dirigeant vers l'arbre où il y avait le plus de singes-branchages, et soudain la branche se rabattit et la cacha à nos yeux.

"Je vous avais dit de ne pas quitter la piste, femme !" cria Malmoneeds en courant à sa suite.

Le reste de l'équipe regarda avec stupeur. Le père Gould semblait sur le point d'avoir une crise de nerfs. Sœur Kim essayait de le calmer.

Ortega me regarda. "Vous n'essayez pas de l'arrêter ?"

"Hum ?"

"C'est votre amie, après tout."

Je regardai mes pieds. Scarborough se mettait toujours dans les pires situations à chaque fois que j'essayais de la sortir d'un moindre mal. À l'école nous la surnommions Jessie Pas d'accord. Elle faisait ce qu'elle voulait. J'avais depuis longtemps abandonné l'espoir de la raisonner en quoi que ce soit. Le mieux que je puisse faire pour elle était d'être là avec la trousse de secours, pour après.

Je la suivais avec la trousse de secours depuis des années parce que j'étais toujours son ami. J'étais toujours son ami parce que... ?

"C'est mon amie..." répétai je lentement.

Il y eut un bruit sourd dans la direction où Scarborough et Malmoneeds étaient partis. Il y eut un grand choc, beaucoup de grincements, et les sommets des arbres s'agitèrent tandis que les singes-branchages sautaient de branche en branche.

"Reviens ici bordel de Dieu !"

Malmoneeds répondit quelque chose que je ne compris pas. Je fis quelques pas hors de la piste et j'écartai une branche, mais je ne les vis toujours pas. Je continuai d'avancer, marchant dans la boue. Des gouttes de rosée me tombèrent dessus, imbibant ma chemise. Puis les fourrés devant moi s'ouvrirent.

Scarborough me renversa presque. Elle ne portait plus son casque et ses cheveux étaient en désordre, mais elle ne semblait pas avoir besoin de la trousse de secours pour l'instant. Elle agrippa mon épaule pour reprendre son équilibre, puis regarda droit en l'air. "Trouve moi une pierre."

"Qu'est ce qui s'est passé ?"

"Trouve moi juste une putain de pierre. Le singe m'a pris mon téléphone. Il m'avait fallu trois mois pour l'assembler. J'ai fait faire les pièces sur mesure. Trouve moi une pierre, Jim. Je vais faire descendre ce singe de son arbre.

"Calme toi, Jessie."

Elle hurla : "Je suis calme !"

Ses cris et hurlements effrayèrent le singe-branchage qui grimpa encore plus haut dans l'arbre. Je pouvais le voir tenir l'encombrant casque dans sa main gauche. Scarborough se construisait toujours du matériel léger.

Malmoneeds apparut. Il tenait le pistolet de Scarborough à la main. "Rendez moi mon flingue" lui dit elle. Il secoua la tête. Elle l'injuria, mais il ne lui rendrait pas son arme, pas dans l'état où elle se trouvait.

Scarborough et moi jetâmes quelques pierres au singe, ce qui n'eut pour effet que de le faire grimper plus haut, et comme les pierres avaient tendance à retomber sur nous, nous abandonnâmes.

"Je ne m'en vais pas sans mon téléphone." Elle regarda fixement le singe avec une grande détermination. Elle frappa le tronc du pied, secouant l'arbre et faisant grimper le singe hors de vue dans les feuilles. "Je ne m'en vais pas sans mon téléphone, vous pouvez toujours dire ce que vous voudrez."

Je lui répondis que je n'avais rien dit.

Malmoneeds était calmement resté là, hors de portée de Scarborough, en se frottant pensivement le menton. Il sourit. "Avez vous un autre téléphone ?"

"Pas un téléphone satellite."

"Mais vous avez un autre téléphone."

"Oui."

"Appelez votre téléphone perdu."

Elle comprit. Elle sortit un ordinateur de poche Anasi Systems, en activa la fonction télécommunications, et appela son téléphone perdu.

Il y eut une série de bips insistants au dessus. Le singe-branchage hurla et lâcha le casque, qui rebondit sur plusieurs branches dans sa chute, mais demeura intact. Malmoneeds tendit vers lui une main musclée et le ramassa. Il le lui tendit. "Rejoignons le groupe," dit il, "et ne vous écartez plus de la piste."